Et Si on causait avec nos enfants

A Yeumbeul, dans la banlieue de Dakar, les adolescents et les jeunes se trouvent bien souvent confrontés à un manque crucial d’informations concernant leur santé sexuelle et reproductive. Cette carence en connaissances les pousse parfois à s’engager dans des comportements sexuels précoces, mettant ainsi en péril leur avenir. C’est pour répondre à cette situation préoccupante que l’IPPF (Fédération Internationale pour la Planification Familiale) met en place diverses initiatives visant à renforcer la communication et le niveau de connaissance des jeunes, afin de les guider vers des comportements responsables.

L’une de ces initiatives, est le dialogue intergénérationnel. Cette approche novatrice rassemble des jeunes, des adultes et des aînés autour de thématiques liées à la santé reproductive et sexuelle. C’est dans ce contexte qu’a eu lieu, le mercredi 30 août 2023, une séance de dialogue intergénérationnel à l’Espace Conseil Ado (ECA) de Yeumbeul. Cette rencontre constitue un moment précieux de partage, d’apprentissage et d’enseignement entre différentes générations.

Au cours de cet événement, bajenu gox : femme notable de la localité qui joue le rôle de « marraine de quartier » pour les femmes), leader avérée et reconnue par la communauté, a pour mission d’influencer la prise de décision au niveau de la famille et des décideurs locaux en matière de santé de la reproduction, adultes et personnes âgées ont eu l’opportunité de partager leurs perceptions sur la question et d’identifier les responsabilités de chacun. Diverses interventions ont été notées.

Selon une Badiène Gokh : « le thème nous interpelle tous en tant que parents. De nos jours, de nombreux parents évitent les discussions ouvertes avec leurs enfants sur la sexualité, par peur que cela ne les poussent à l’expérimenter de manière précoce. Cette peur a pour conséquence de laisser les enfants s’informer sur la sexualité principalement à travers l’école et les réseaux sociaux. Ce genre de centre ado-jeune par exemple est une bonne initiative car il leur permet de s’exprimer librement sans tabou et en toute confidentialité avec le personnel du projet et la sage-femme. Parfois, nos filles ont des problèmes de règles douloureuses et ont peur de s’exprimer. Mais lorsqu’elles se rendent dans ce centre, avec l’aide d’un professionnel de santé, elles bénéficient de conseils et d’orientation. La sexualité précoce n’est pas bien. Dans la vie, il faut respecter les étapes. C’est pourquoi on parle d’abstinence ». O. Touré, Bandiène Gokh, 50ans, Yeumbeul.

Elle met en lumière un constat alarmante et invitent les jeunes à davantage fréquenter l’espace ado qui est une occasion pour les jeunes filles, par exemple, d’aborder des problèmes de santé sexuelle tels que les règles douloureuses, les infections sexuellement transmissibles et de recevoir des conseils adaptés.

L’intervention d’un pair éducateur partageant aussi ses réflexions a retenu notre attention. D’après ses propos, les jeunes devraient faire un retour aux valeurs pour bénéficier d’une bonne éducation. Il s’exprime en ses termes : « j’appelle mes pairs à renouer avec les valeurs traditionnelles. Il faut que vous filles, vous vous réveilliez et refusiez toutes tentations sexuelles parce que nous hommes, nous développons toutes sortes de stratégies juste pour avoir un moment de plaisir et par la suite passer à autre chose. Refusez de développer une sexualité précoce et préparons un avenir meilleur. Moi par exemple, tout ce que j’ai appris dans la santé sexuelle, c’est grâce à cet espace car, cela fait maintenant trois (03) ans que je le fréquente. Je vous invite alors à fréquenter cet espace car à force de le faire et de prêter particulièrement attention aux messages accrochés au mur, je suis sûr que les comportements vont changer

». D.N, 25 ans, Pair éducateur, Yeumbeul.

Il a reconnu que la honte actuelle associée à de telles discussions limite la communication entre générations. Il incite les jeunes filles à rester vigilantes face aux tentations et aux pressions exercées par les jeunes et hommes et encouragent les jeunes à fréquenter des espaces tels que l’ECA, où l’information et l’éducation sont accessibles.

Parallèlement au points de vue des deux intervenant-e-s, les jeunes filles analysent la question de la sexualité précoce sous un autre angle qui est celui de la curiosité. En effet, selon elles, la curiosité joue un rôle majeur dans le comportement. Très souvent, les jeunes sont exposés à des contenus sexuels dans les médias, mais les parents réagissent souvent en les évitant plutôt qu’en en discutant avec eux. Cette attitude pourrait encourager les jeunes à chercher des informations ailleurs. Ces jeunes filles ont également souligné le manque de temps des parents pour s’occuper de leurs enfants, car ils sont pris dans leurs propres activités. D, 20 ans, étudiante affirme : « Voyons ce qui se passe très souvent dans les ménages. Si un père de famille est en train de regarder la télé avec toute la famille et qu’il y a une séquence d’acte sexuel, le reflet est de changer rapidement de chaine ou d’éteindre la télé. Or, l’idéal serait de laisser la séquence se dérouler et à la fin, discuter avec son enfant, le conscientiser et l’orienter. Pour moi, c’est ce qui conduit l’enfant à aller chercher ailleurs l’information pour essayer de décortiquer ce qu’il a vu. Les parents n’ont plus le temps pour leurs enfants. Les seuls jours où ils sont censés rester à la maison sont consacrés aux réunions de famille et autres activités (tours, tontines, etc…). Les responsabilités sont partagées entre nous filles, garçons et parents ».

Ce débat intergénérationnel à Yeumbeul a mis en évidence la nécessité de renforcer les liens entre les différentes générations et de favoriser des discussions ouvertes sur la santé sexuelle et reproductive au sein des familles. La prise de conscience de ces enjeux pourrait contribuer à réduire les comportements sexuels précoces. Les espaces comme l’ECA offrent un espoir certain pour un changement positif comportement.

Bintou DIALLO, ONG AcDev